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Vie des Mots

7 novembre 2013

ppm : pmn ou pM ?

 

     La formule pour cent exprime bien l'idée de proportion : 3 % c'est trois pour chaque centaine, trois par centaine. Les marchands proposaient jadis treize œufs à la douzaine, et les huîtres s'y prêtent encore. Moins en usage, pour mille a un symbole semblable : ‰ (comme beaucoup de caractères absents des claviers, on l'obtient en maintenant enfoncée la touche Alt et en tapant le code approprié, 0137 dans son cas). Il évite d'écrire 0,1 %, qui exprime qu'un millième est un dixième (0,1) de centième (%). À défaut de ces symboles, rien n'empêche d'employer simplement les abréviations pc et pm.
     Les sciences de la nature, aux prises avec des nombres immenses de particules, ont souvent affaire à des proportions plus faibles encore. Si pour chaque million de molécules d'un gaz (à très peu près), on compte une molécule d'un certain corps étranger, écrire que la proportion de ce dernier est un millième de millième peut bien sûr prendre la forme 0,001 ‰. Cette manière devenant vite malaisée, les scientifiques pratiquent la partie pour un million, dite aussi partie par million, abrégée du coup en ppm. En suivant cette ligne on a la partie pour un billion (ppb), et ainsi de suite avec trillion (ppt) et quadrillion (ppq).
     Un fâcheux obstacle se présente avec quintillion : l'abréviation serait aussi ppq. Mais une difficulté bien pire se présente, à savoir que, comme on sait, billion a deux sens différents de par le Monde, et de même pour trillion, quadrillion, etc. En français parties pour un million, pour un milliard pourrait donner lieu aux abréviations pmn et pmd ; semblablement parties pour un billion, pour un billiard seraient rendus par pbn, pbd ; et ainsi de suite. Pour réconcilier le Monde, reste la possibilité que tous se rabattent sur les préfixes scientifiques méga, giga, téra, etc., que la capacité des disques durs rendent désormais familiers. Ainsi parties pour un million pourrait-t-il se dire aussi bien parties pour un méga ; et de même aurait-on parties pour un giga, pour un téra, etc. ; le symbole correspondant serait alors tout naturellement pM, pG, pT.
    Que l'on choisisse pmn ou pM, profitons-en pour harmoniser la formulation avec pour cent et pour mille. On n'a que faire de parler de parties : que pmn et pM soient tout simplement les abréviations de pour un million et de pour un méga. Il est même loisible de préférer par million et par méga, sur le modèle de par douzaine ; à ne pas confondre, bien entendu, avec par millions et par douzaines.

 

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29 octobre 2013

De...


     Un « 
de facto » est toujours de bel effet dans un exposé sérieux, surtout si « de jure » vient lui donner la réplique. Encore faut-il ne pas se tomber dans le petit ridicule, que l'on s'appelle X ou Y, de prononcer deu au lieu de . Une francisation outrancière risque même de conduire ce « jure » à se faire prononcer jure, tel quel, comme dans « je jure ».
     Rejeter cette gallicisation doit-il conduire, à l'inverse, à tenter la parfaite latinisation, à italianiser en quelque sorte « de jure » en dé youré ? Comme pour « alea jacta est », une certaine tradition y opposerait son inertie. Dans la langue courante, gallo-latins nous sommes et sans doute le resterons. La tolérance que cela autorise pour notre prononciation du « jure » latin (juré) ne saurait cependant s'appliquer à tout, du moins pas à « de ». Pour « de facto », en tout cas, sa prononciation est la seule preuve que le locuteur soit frotté d'humanités.

 

29 octobre 2013

Coup d'État

 

     « Coup d'État » a connu une belle fortune puisque cette expression s'emploie en japonais (kudeta) aussi bien que, telle quelle, en anglais (amis xénographes, mettez un É !). On la comprend surtout de nos jours comme désignant un coup décisif porté illégalement aux institutions et venu de l'intérieur du pays ; plutôt de la gent militaire d'ailleurs, les peuples effectuant pour leur part des révolutions. Contentons-nous d'une modeste interrogation sur la préposition mise à contribution.
     Pourquoi ne dit-on pas coup à l'État ? Un coup sur la tête, ou à la tête, n'est pas en soi un coup de tête (c'est-à-dire donné avec la tête) : ce n'est pas la même tête qui est en cause. La raison de cette bizarrerie est que l'expression servait initialement à désigner un coup porté par l'État lui-même à quelque Grand aux entreprises réputées factieuses. Ainsi de l'arrestation du surintendant Fouquet ; ou encore, un peu auparavant, de l'exécution du maréchal d'Ancre. L'important, pour qu'il y eût bien coup, était que la surprise accompagnât la brutalité. Le coup du 2 décembre 1851 releva, pour sa part, des deux genres à la fois, puisque porté à l'État par son propre chef. Cette conjonction particulière contribua-t-elle au basculement sémantique de l'expression ? Toujours est-il que celle-ci est restée syntactiquement indifférente aux convulsions politiques.

 

3 septembre 2013

Ingénieure

 
    Dans sa prétention à tout féminiser, le e final joue au petit tyran : procureure (de la République ou du Roi) et gouverneure (du Canada) apportent un renfort institutionnel de poids aux tristes auteure et professeure. Néanmoins chercheuse tient bon, allié en quelque sorte à sénatrice.
    Une contre-attaque en faveur de professeuse, de procureuse, de gouverneuse, si souhaitable soit-elle, ne pourrait cependant viser à une victoire totale. Elle butterait sur ingénieure, qui peut difficilement donner ingénieuse, déjà féminin d'ingénieux. Le plus sage ne serait-il pas d'accorder le statut d'exception à ingénieure ?

 

23 août 2013

Interprétations nécessaires


     Les actualités internationales accordant une bonne place aux États-Unis d'Amérique, quelques faux-amis les encombrent avec insistance. Outre l'inévitable « contrôle », c'est le cas d' « administration », qui là-bas désigne avant tout ce que les Européens nomment gouvernement. Pour sa part, le
government a son équivalent chez nous dans l'État, en tant que réunion de l'Executif et du Législatif.
     On sait que le
Secretary of State n'est pas du tout un secrétaire d'État en l'actuel sens français de l'expression, mais le ministre des affaires étrangères. On se rend peut-être moins compte de ce que le Secretary of Commerce n'est pas, pour sa part, le ministre du commerce, mais celui de toute l'économie (hormis les finances) ; la terminaison .com de nombreuses URL correspond de même à l'idée d'activité économique, industrie tout aussi bien que commerce.
     Sans doute faudrait-il beaucoup de vertu aux traducteurs pour chercher à tout coup l'expression appropriée, tant
administration, commerce, mais également gouvernement et secrétaire d'État semblent s'imposer si naturellement. À nous, lecteurs et auditeurs, de les entendre au moins avec justesse.

 

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6 avril 2013

Méta


     On connaissait depuis longtemps les
métaphores ; Sigmund Freud est l'auteur d'une Métapsychologie ; les logiciens évoquent des métalangages ; certains internautes utilisent des métamoteurs de recherche et les balises méta président aux pages de la Toile. En tant que préfixe d'emploi savant et quelque peu mystérieux, méta a tout pour impressionner le commun de mortels. Mais, en le manipulant, les savants savent-ils eux-mêmes ce qu'ils font ?
     Les dictionnaires de grec indiquent deux significations principales :
méta correspond à quelque chose comme avec, accompagnant ; il veut dire aussi qui vient après. Ce deuxième sens se retrouve dans bien des compositions : le métacarpe se situe après le carpe, c'est-à-dire le poignet, dans une description du bras allant de l'épaule vers les doigts. On voit mal quelle unité préside à cette pluralité de sens, phénomène qui affecte d'ailleurs bien des prépositions et des conjonctions. Peut-être résulte-t-elle de l'étroitesse des langues à laquelle la pensée se trouve confronté depuis toujours : il n'y a jamais assez de mots pour tout exprimer.
     Comme si ce n'était pas déjà un peu trop de deux sens, un troisième est venu s'adjoindre, d'une façon que l'on peut qualifier d'accidentelle : non content de signifier
après et avec, méta s'est mis à prendre en outre un sens proche de avant. Cela s'est produit à propos du livre dans lequel Aristote expose sa philosophie première, celle qui traite de choses fondementales : l'être, le savoir, etc. Cet ensemble de texte n'avait pas de titre ; comme on le classait traditionnellement après celui qui traite de physique, on se contenta de l'appeler l' « après-Physique » : meta phusica en grec, metaphysica en latin, métaphysique en français. Ainsi méta était-il correctement employé. Mais parce qu'il est traité, dans cet ouvrage, de la partie de la philosophie qui, dans l'ordre des idées, tend à précéder et dominer toute autre, le préfixe méta s'est chargé en ces circonstances du sens d'au-delà de, avec des nuances de préalable, d'antériorité logique, d'importance primordiale. Cette idée de domination peut aussi se traduire par au-dessus ; pour exprimer les idées abstraites, on n'est pas à une métaphore près... Les Méditations métaphysiques de René Descartes, pour leur part, se veulent de la philosophie première, racines desquelles aurait dû sortir tout l'arbre du savoir (donc situées en dessous !). Dans une optique logicienne, les fondements dominent, au sens premier de ce verbe : ils sont maîtres.
     C'est le prestige passé de
métaphysique qui est à la source de la création des mots métapsychologie, métalangage, métamoteur, dans lesquels méta a systématiquement ce sens d'antériorité, de supériorité si l'on préfère, dans l'ordre des choses. Ainsi doté, grâce à une entourloupe dont il n'y a pas à être fier, d'une sémantique aussi riche que souple, ce préfixe est promis à un fort bel avenir.

 

 

25 mars 2013

Franche-Maçonne


     À l'égard de la mixité, les obédiences maçonniques manifestent une pudeur presqu'égale à celle de ces religions sans prêtresses, ou qui les relèguent dans un collège séparé. Le vocabulaire en témoigne : nul n'ose parler de
franches-maçonnes. Il y a bien des maçonnes, appelées sœurs, et même des Grandes Maîtresses ; mais que l'on dise franc-maçonne ne va pas sans intriguer. Pis encore, alors que le pluriel est francs-maçons pour les hommes, il est, paraît-il, franc-maçonnes pour les femmes.
     Il est vrai que ce problème orthographique dépasse la question de la mixité puisqu'il se pose déjà pour
franc-maçonnerie : l'emploi de franche-maçonnerie, qui devrait aller de soi, reste des plus discrets. Ces mystères mériteraient bien quelques lumières.

 

17 mars 2013

Mots composés

 

    Le trait d'union, si sollicité pour certains besoins pratiques d'Internet en tant que « tiret », dans les URL notamment, semble perdre du terrain à l'intérieur des textes pour ce qui est de la composition des mots. Le clé de personnage clé est une épithète bien douteuse. Si on le considère comme un nom à part entière, autant lier en personnage-clé. Les exemples en ce sens ne manquent pas.
    Certains traits d'union, d'autre part, laissent place à une soudure, souvent bienvenue d'ailleurs :
plate-forme tend à devenir plateforme. Dans certains cas, il peut en résulter une hésitation à la lecture : qu'est-ce que cet oiso au beau milieu de radioisotope ? Considérons plutôt sur les risques liés à la formation du pluriel.
     On comprend qu'il convienne d'écrire
un porte-avions, un porte-jarretelles, ou encore, à la rigueur, un porte-documents. Bien que ce dernier objet ne contienne parfois qu'un seul document, on préfère sans doute croire qu'il y en a plusieurs habituellement. La construction de son parent portefeuille, pour sa part, relève d'une logique plus ordinaire : le pluriel portefeuilles ne correspond en rien à une pluralité de feuilles, mais bien à une pluralité d'étuis. Or nombre de soudures de mots composés pourraient relever du paradigme portefeuille, au bénéfice de la précision tout autant que de la simplicité. Parce que deux verbes à l'infinitif se trouvent composés dans savoir-faire pour produire un nom, celui-ci est invariable : des savoir-faire. La fusion le rendrait variable : cultiver savoirfaires et savoirs, pourrait-on alors écrire en se faisant mieux comprendre. On conçoit cependant que porteavion, et portavion plus encore, puisse être mal accepté par l'Aéronavale. On conçoit également que portejarretelle puisse peiner les messieurs d'une certaine époque. Procéder à la soudure demande circonspection.

 

12 mars 2013

Loup y es-tu ?

 


Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n'y est pas.
Si le loup y était, il nous mangerait.
Mais comme il n'y est pas, il nous mangera pas.
Loup y es-tu ?
Non.
Que fais-tu ?
Je mets mes chaussettes.


Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n'y est pas.
(...)
Loup y es-tu ?
Non.
Que fais-tu ?
Je mets mon slip.


(...)
Loup y es-tu ?
Non.
Que fais-tu ?
Je mets mon T-shirt.


(...)
Que fais-tu ?
Je mets mon jean.


(...)
Je mets mon pull-over.


(...)
...mes baskets.


(...)
...mon bob.


(...)
Je mets le k-way de Papa, parce que le duffle-coat de Grand-Papa est out et que le macintosh d'Arrière-Grand-Papa fait has been.


Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n'y est pas.
(...)
Loup y es-tu ?


?


??


???

 





YES, AND I WILL EAT YOU !





27 janvier 2013

Mademoiselle

 

    La suppression de la mention « Mademoiselle » ne peut pas concerner seulement les formulaires administratifs. Les raisons qui y ont conduit sont suffisamment fortes pour que ce terme soit banni du vocabulaire courant, même si cela doit se faire de manière progressive. Adieu donc les « Fräulein », les « Signorina » et les « Señorita »...
    Le nettoyage linguistique doit se poursuivre tous azimuts, jusqu'à ce que, en présence d'une personne du Sexe, les Messieurs ne soient plus jamais dans l'incertitude qui risque, comme on sait, de les faire rougir. Il sera peut-être difficile de rebaptiser Misstinguette, et quelques cas isolés de cet acabit subsisteront à titre de témoignages historiques. Mais il ferait beau voir que le concours Miss Cosmos ne pût être tôt renommé Madam Cosmos.
    On ne peut certes nier que Mademoiselle avait un air d'honnêteté dans des situations où les Messieurs, engageant une approche aux arrières-pensées pressensibles, entendaient paraître respectueux de la sainte institution du mariage. Dire Madame à toute jeune femme ne risque-t-il pas de les faire rougir ?

 

4 janvier 2013

Algorithme

 

    Le mot algorithme fait montre d'une insistance croissante dans le domaine des TIC, ces Techniques de l'Information et de la Communication qui s'imposent de plus en plus. La notion d'algorithme et celle de programme informatique ont à voir l'une avec l'autre, mais elles ne coïncident pas pour autant. Considérer l'origine du mot éclaire, non sans jeter un trouble, parce qu'elle relance la bonne vieille question du rapport de la pensée au langage.
    Un programme s'écrit dans un langage spécialisé qu'un ordinateur puisse comprendre, c'est-à-dire tel qu'il puisse exécuter le programme ; le Basic en est un exemple. Ce programme, ainsi écrit, est appelé un code-source. Le droit français en reconnaît la spécificité puisque, en matière de propriété intellectuelle, il accorde à celui qui le produit la protection, non pas d'un brevet, mais du droit d'auteur, comme à un écrivain.
    Un tel code traduit des idées, celles qui s'agencent en un processus intellectuel, lequel consiste à recevoir des données (l'âge du capitaine et la température de l'air) et à en faire quelque chose (déterminer la couleur des yeux de la lieutenante). L'algorithme dit comment procéder au travail sur les données. Une question délicate est de savoir si l'algorithme est constitué des idées, ou bien de leur expression dans un certain langage, pour autant que les deux aspects puissent être séparés.
    Il existe autant de définitions du mot que de définisseurs, excellent prétexte pour remonter aux sources. Au IXe siècle, le Perse Al-Kowarismi (l'orthographe latine de son nom est mal fixée) transmit à l'Europe les techniques indiennes de calcul écrit, celles que nous apprenons à l'école, et c'est elles que l'on appela algorithmes. L'exemple le plus simple en est la manière d'effectuer une addition : disposer les chiffres de telle façon, puis commencer par la colonne de droite, etc. Il est trop réducteur de parler les algorithmes comme étant des formules mathématiques ; ce sont des successions d'instructions. Les programmes étant eux-mêmes de telles successions, et qui plus est très calculatoires initialement, l'informatique, tout naturellement, alla prendre le mot algorithme à l'arithmétique.
    Un embarras provient de ce qu'il est difficile, en tout cas en matière d'instructions précises, de séparer l'idée de sa formulation. L'instituteur disait d'aligner les colonnes des unités pour additionner ; nous avons oublié ses paroles et le faisons d'instinct. Un algorithme à finalité informatique, généralement plus compliqué, s'écrit avec des mots ordinaires, ou au moyen de symboles, voire de schémas. À ce stade c'est un texte si l'on veut, mais qu'un ordinateur ne comprend pas, et nos législateurs ont décidé, à raison ou à tort, de ne pas accorder de protection à l'auteur en matière de propriété intellectuelle.
    En résumé, un programme informatique présente deux faces : ses idées constitutives d'une part, leur expression en langage d'ordinateur d'autre part ; l'algorithme et le code. Un informaticien entraîné peut écrire directement en langage d'ordinateur le petit programme qu'il invente dans sa tête bien faite. Dans ce cas l'algorithme est resté tout mental et, comme il n'a pas reçu d'autre expression que le code-source, la tentation est compréhensible de mêler toutes les notions en déclarant qu'il a écrit un algorithme ; mais la généralisation d'un tel abus finirait par brouiller toute perception en ces matières. Le mieux, en cas d'hésitation, est de repenser au leg d'Al-Kwarismi.

 

16 décembre 2012

Illuminati

 

    En dépit de ce qui les rapproche, il serait fâcheux de confondre le destin d'Illuminati et celui de panini. Un panini est un pain fourré, dont le déguisement verbal italien ne saurait tromper son monde ; il est bien clair que le mot, dans cet emploi disorthographique, relève d'un vulgaire « concept » commercial. Un Illuminati, pour sa part, aurait plutôt des origines bavaroises, mais, à ce qu'il se dit, il tromperait et entortillerait le Monde.
    Laissant aux vrais connaisseurs le soin de pousser plus outre cette analyse de fond, contentons-nous de dénoncer le redoublement d'une méprise linguistique. Observons que, si panini est originellement le pluriel de l'italien panino, illuminati est celui de l'adjectif latin illuminatus. Ceux que l'on appela en français Illuminés de Bavière, Illuminaten en allemand, se voulaient illuminés au meilleur sens des Lumières : éclairés, comme il se disait. Or, en latin, éclairé a pour exacte traduction illuminatus ; d'où l'emploi d'illuminati. Il s'ensuit qu'un tel maître du Monde, s'il en est, doit être appelé un Illuminatus.

 

23 novembre 2012

Hyperbole, parabole, ellipse

 

     Les mots hyperbole, parabole et ellipse, à l'allure un peu recherchée, se rencontrent dans des contextes très différents. Le premier en rhétorique, le deuxième dans les Évangiles et le troisième en grammaire. Les géomètres, pour leur part, les associent étroitement. L'hyperbole, la parabole et l'ellipse sont, depuis l'Antiquité, les trois types de coniques. Il s'agit de courbes qui s'obtiennent par différents procédés ; l'un d'entre eux consiste à couper un cône par un plan, d'où l'appellation de sections coniques. De nombreux sites et ouvrages les présentent très bien. La question qui se pose ici est plutôt de savoir pourquoi les géomètres, que l'on imagine si soucieux d'ordre, ont choisi trois mots parmi lesquels deux ont la même terminaison tandis que le troisième ne leur ressemble en rien. La famille des coniques manquerait-elle d'unité à ce point ? Ou bien les géomètres partageraient-ils avec les grammairiens le principe que toute règle a besoin de se trouver confirmée par des exceptions ?
    C'est un fait que l'ellipse, sorte de cercle aplati (ou allongé) se distingue de la parabole et de l'hyperbole en ce que ces deux-ci s'en vont à l'infini. Pourtant, à lire les exposés des géomètres grecs, l'origine du choix de ces mots traduit une démarche pleine d'harmonie. La construction de ces courbes peut commencer, en effet, de façon semblable dans les trois cas. Une opération produit alors, au choix, un excès dans un aspect de la figure, ou bien une égalité, ou encore un manque. Dans le cas de l'excès on obtient l'hyperbole, dont le nom exprime primitivement l'idée que quelque chose est lancé au-delà. Si l'on fait choix de l'égalité, on obtient la parabole, dont le nom veut dire, à l'origine, comparaison. Et si l'on choisit le manque, on produit l'ellipse, dont le nom exprime initialement l'idée de défaut. Telle fut l'origine de ce vocabulaire géométrique.
    Bien entendu, le XVIIe siècle français pouvait difficilement admettre le manque d'unité de cette petite famille de mots, alors que la famille des trois notions présente, pour sa part, toute l'unité souhaitable. Aussi vit-on Blaise Pascal remplacer ellipse par antobole, mot qui exprime l'idée que la courbe, au lieu de partir à l'infini, se referme sur elle-même à la manière d'un cercle. La tradition fut toutefois plus forte que cette méritoire tentative réformatrice.

 

22 novembre 2012

Homi

 

     Dans les romans d'espionnage, il arrive qu'un service très spécial reçoive l'ordre d'éliminer un ennemi de son pays. Certains auteurs appellent cela une opération homo. Ce terme homo peut s'interpréter comme une mauvaise abréviation d'homicide. À moins que l'on affaire là à une façon pudique de dire « opération visant un homme », pour laquelle aurait été convoqué le mot latin homo, lequel désigne tout être humain, qu'il soit homme ou femme ; dans ce cas, d'ailleurs, le datif homini semblerait encore plus approprié.
    Quoi qu'il en soit, cette tradition lexicale se heute désormais à l'usage, familier mais très répandu, du préfixe homo comme abréviation du mot homosexuel. De ce fait, continuer de parler d'opération homo, dans le sens rappelé ci-dessus, pourrait induire de déplaisantes ambiguïtés, et même risquer de prêter le flanc à l'accusation d'homomisie. L'esprit du temps devrait donc pousser les romanciers à s'en soucier. Osera-t-on leur suggérer de parler désormais d'opération homi ?

 

18 juillet 2012

Hyperbolettes

 

     Parce que donner dans l'excès fait parfois du bien, nous en renouvelons sans cesse les moyens, jusque dans les formes minimes de l'hyperbole.
     Il arrive que très et grand soient insuffisants : les situations gravissimes exigent un généralissime, voire un maréchalissime, espéré génialissime.
     À l'opposé de cette enflure, le préfixe per est d'un charme assez discret. Son emploi semblait relégué à la chimie : un peroxyde est un composé particulièrement chargé en oxygène. Il est pourtant présent dans bien des mots courants, où l'on n'y fait plus attention : pervertir c'est retourner complètement. Son succès est incontestable actuellement avec perdurer. Ce verbe n'a rien d'excessif pour les choses éternelles ; dans le cadre de promesses, en revanche, son usage se laisse sentir quelque exagération.
     Si l'adverbe supra reste une manière savante de dire au-dessus (cf. supra), voire de produire un superlatif renforcé (supraconducteur), super est des plus familiers : les superpuissances sont au-dessus des puissances, comme les archanges sont au-dessus des anges ; et de même pour les supermarchés, encore qu'un racornissement se soit produit avec supérette.
     De façon légèrement plus accentuée, hyper, forme grecque pour au-dessus, à donné l'hyperpuissance de nos jours, comme l'hypermarché hier et l'hyperbole jadis. Hyperette concurrence superette dans le contre-excès.
     Outre reste présent sous sa forme d'origine ultra, avec son sens propre dans ultramontain et ultramarin. L'idée d'excès s'est déjà pointée dans ultraroyaliste à la Restauration et dans ultranationaliste il y a quelques temps ; elle est patente dans ultra-pressé.
     Il fut un temps où méga se contentait de s'opposer à micro, jusque dans Micromégas. Lors de l'invention du mégaoctet, « c'est méga ! » fut « c'est super ! » en cent fois mieux, vite suivi de « c'est giga ! ». L'accélération du progrès nous permet de prévoir l'arrivée de « c'est téra ! ». Il n'est pas possible de prédire que l'on échappera ensuite à l'ambigu « c'est péta ! » et à l'équivoque « c'est exa ! ». De toute façon zetta et yotta se tiennent en réserve et la suite est en préparation.

 

27 avril 2012

Ma Lieutenante

 

     Nos Armées s'en tiennent vaillament à « lieutenant » pour une femme comme pour un homme. L'histoire ne manque pourtant pas d'illustres lieutenantes, souvent même générales. Ainsi de Marguerite d'Autriche, que l'on présente comme « Lieutenante Générale des Flandres, Gouvernesse et Administratrice ».
     Ne montons toutefois pas trop vite dans la hiérarchie. Un certain nombre d'officières, sans doute, devront atteindre le grade de lieutenant-colonel pour que « lieutenant », « colonel » et quelques autres mots aient droit à leur féminin, sur l'exemple modeste, mais aussi célèbre que réconfortant, de « cantinier ». Chefs des Armées, Officiers généraux, Officiers, Sous-officiers, Soldats, une résistance extrême serait ingalante !
     Cela aquis, on pourra donner du « ma Lieutenante », hormis dans la Marine bien entendu, sachant que ce « ma » ne sera pas du tout un adjectif possessif, mais le produit d'une opération en deux temps : le soudage maintenant pluriséculaire de « ma dame », suivi de l'abréviation militaire à venir de « madame » en « ma ». Le cas de l'adjudante appelle un « mon » qui sera donc une abréviation supplémentaire de « madame ». Plaisante abréviation.

 

26 avril 2012

Mon Lieutenant

 

     Dans les Armées françaises, hormis la Marine, on dit « mon Lieutenant ». L'officier étant une femme, on lui dit « Lieutenant ». Instructeurs de nous expliquer que ce « mon » n'est en rien un adjectif possessif, mais l'abréviation de « Monsieur ». On conçoit que, de ce fait, il ne puisse être donné du « mon Lieutenant » à une femme.
     Or, instituteurs de nous l'expliquer, « monsieur » a été produit par le soudage de « mon sieur », tout comme il en va de « monseigneur », de « madame », de « mademoiselle », ainsi que du « mondamoiseau » auquel semble promis un certain avenir. Ergo dans « mon Lieutenant », « mon » n'est pas un adjectif possessif, mais l'abréviation de la soudure de « mon » et de « sieur ». Le « mon » militaire, au bout du compte, est un adjectif possessif d'abord soudé et qui, lors de l'opération subséquente de dessoudage (de débrasage diront certains), a changé de nature. Cette transmutation remarquable est un témoignage de plus des étonnantes ressources de l'esprit humain.

 

16 avril 2012

Myriade


     On dit parfois des myriades comme on dirait des millions. Ce faisant on exagère puisqu'une myriade est un groupe de dix mille, comme une dyade est un groupe de deux et une décade un groupe de dix, que l'on parle de jours, d'années, de soldats ou de haricots ; ainsi le veut l'origine grecque de ces mots. Parmi eux, seul décade est resté d'utilisation courante.
     Déca est un préfixe bien connu du système métrique (décamètre) ; myria en fut un aussi. Ceux qui indiquent des multiples après déca et hecto ne sont pas censés s'arrêter à kilo. Le myriamètre est une distance de dix mille mètres. La Constitution de l'an III prévoyait que les membres du Corps
législatif recevraient une indemnité annuelle « fixée à la valeur de trois mille myriagrammes de froment » (art. 68). Qui comprit alors, hormis les bénéficiaires, que mille myriagrammes ne sont rien d'autre que dix mille kilogrammes ? La Constitution de l'An VIII se garda de promettre tant de myriades.

 

15 février 2012

Tout(e(s))


     À propos de « tout » (mais pas de tout) règne une confusion qui ne fait pas honneur au français. Si l'usage du nom et de l'adjectif qualificatif est bien réglé grammaticalement, celui de l'adverbe donne lieu à une faute aussi inexcusable qu'officialisée.
    L'adjectif, accompagnant un nom en principe, marque le genre et le nombre par ses variations de forme : tout véhicule, toute institution, tous les animaux, toutes les sensations. Quant au sens, il équivaut à chaque. Même employé au singulier, il fait référence à une collection, en ensemble au sens mathématique du terme : chacun des véhicules... La précision qu'il apporte est franchement quantitative.
     L'adverbe, de son côté, est plus qualitatif. Il porte généralement sur un adjectif (ou un autre adverbe : tout doucement) et fait plutôt référence à une complétude : dans tout naturel ou dans tout entier, tout signifie complètement, intégralement, par opposition à partiellement, presque. En tant qu'adverbe, tout se doit d'être invariable, et il l'est effectivement dans la majorité des cas : tout entier, tout entière, tout entiers, tout entières. Toutefois il ne l'est pas au féminin devant une consonne : si tout beau donne lieu comme il se doit à tout beaux, on dit et l'on écrit toute belle et toutes belles.
    Les maîtres qui tentent de justifier cette exception avancent l'argument de l'euphonie. Comme on entend le T de la liaison dans tout entière, il serait bon de l'entendre dans tout belle, ce pourquoi l'on ajoute le E : toute belle. Or l'argument, bien discutable tel quel, s'effondre dans le cas du pluriel : dans toutes belles, le S ne concerne en rien la prononciation. Il constitue un aveu ; ce S est là comme marque du pluriel, en contradiction flagrante avec le principe d'invariabilité des adverbes. Du coup, le E se révèle être là comme marque du féminin et non pour des raisons d'euphonie.
    Il faut savoir reconnaître qu'un usage fautif s'est installé, et que la faute se voit redoublée par les tentatives de lui trouver des excuses. En fait elle n'en a aucune. On devrait, on doit dire et écrire tout belle et tout belles, comme il se fait pour tout entière et tout entières. Il n'y a rien de laid à ne pas prononcer le T devant une consonne, bien au contraire. Et l'on doit surtout refuser son respect aux arguments qui ne le méritent pas. « Mon bonnet, oui ; mon respect, non. »

 

12 janvier 2012

Digital


    L'adjectif digital aimerait bien se faire une honnête place à côté de ses estimables compères informatique et numérique, pas bien loin de télématique, bref parmi les TIC (les Technologies – Sic – de la Communication et de l'Information). Mais l'honnêteté n'est pas son fort car, sur ce chapitre, il ne mérite aucune estime particulière.
    Ce digital à l'anglaise fait allusion aux chiffres arabes ou, si l'on préfère, aux dix nombres offerts à la vue du compteur par les doigts de ses deux mains. Ils sont la base de nos calculs usuels, à commencer par l'organisation de tous les nombres (dizaines, centaines, milliers...) et en continuant par le système métrique décimal (mètre, décamètre, hectomètre...). Or cette base dix est justement la moins adaptée qui soit à l'informatique. Celle-ci use, entre autres, de la base seize, qui aux dix chiffres usuels 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 adjoint les six chiffres A, B, C, D, E, F. Pour le fonctionnement matériel des ordinateurs, c'est à la robustesse de la base deux que l'on fait confiance : les chiffres 0 et 1 suffisent à tout (l'intérêt de seize est d'être le résultat de 2222). L'informatique, en tant que technique, mérite sans doute d'être qualifiée de numérique, mais pas de digitale. MM. les Anglais, qui ont tant œuvré à l'invention de l'informatique, devraient y réfléchir.
     Les commerçants qui voudraient nous happer avec du « digital » n'osent pas tenter de le faire avec du « binaire », ni même avec du « binal ». Le seul digital qui vaille, chez eux, c'est la manipulation trituratoire par le chaland des merveilles présentées sur leurs rayons. Que ce soit à ce propos ou, plus sérieusement, dans l'évocation de l'usage du clavier, ce n'est toutefois plus à digital en tant qu'anglicisme que l'on a affaire.

 

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